L’ancien président de la Cour d’appel de Kaolack, Ousmane Kane, est sorti de sa réserve pour répondre aux attaques formulées récemment par le Premier ministre Ousmane Sonko contre la magistrature sénégalaise. Lors d’un meeting tenu le 8 novembre, le chef du gouvernement avait critiqué de manière virulente des magistrats non identifiés, particulièrement ceux de la Cour suprême et de la Cour d’appel de Dakar, qu’il accuse d’avoir été promus sous l’ère Macky Sall et d’avoir contribué, selon lui, à des décisions déloyales et politiquement orientées.
Pour Ousmane Kane, ces déclarations traduisent une profonde méconnaissance du fonctionnement réel de la justice. Il estime que l’intégralité des magistrats occupant les postes les plus sensibles a été remplacée depuis l’arrivée du Président Bassirou Diomaye Faye. « Le Premier ministre s’est trompé. Depuis la première réunion du Conseil supérieur de la magistrature sous l’ère Diomaye Faye, tous les magistrats occupant des postes importants sous l’ancien régime ont été remplacés », affirme-t-il.
Dans un texte très détaillé, il rappelle les changements significatifs opérés. À la Cour suprême, un nouveau Premier président et un nouveau procureur général ont été nommés. Le Premier président, souligne-t-il, a même la prérogative de présider n’importe quelle chambre, même s’il ne l’a jamais exercée. À la Cour d’appel de Dakar, presque l’intégralité de la haute hiérarchie a été renouvelée : Premier président, secrétaire général, présidents de chambre, procureur général, avocats généraux, président et conseillers de la Chambre d’accusation financière, juges d’instruction du pool financier ainsi que le procureur de la République de ce même pool. Au Tribunal de grande instance hors classe, les juges d’instruction, le procureur de la République et ses adjoints ont également été remplacés.
Ces changements, insiste Ousmane Kane, prouvent que les accusations du Premier ministre ne reposent sur aucune base solide. « Aujourd’hui, tous les postes sensibles dans la magistrature sont occupés par des magistrats de son choix », tranche-t-il.
Au-delà du plan institutionnel, l’ancien magistrat évoque aussi sa propre expérience pour illustrer la complexité du fonctionnement judiciaire et les dérives possibles. Il raconte avoir été la cible de comportements qu’il qualifie de « violations grossières des règles fondamentales du droit ». « L’injustice laisse une amertume que seule la calomnie peut égaler. J’en sais quelque chose pour en avoir été victime plus d’une fois », dit-il. Il affirme avoir constaté des pratiques graves, comme des magistrats de haut rang brisant des principes juridiques ou encore un faux constaté par huissier à la Cour suprême. Toutefois, il tient à rappeler que ces cas ne reflètent pas la réalité générale : « L’écrasante majorité des magistrats effectuent un travail titanesque dans des conditions souvent indescriptibles. »
Pour Ousmane Kane, la prise de parole de Sonko relève davantage d’une instrumentalisation politique que d’une critique institutionnelle constructive. « La magistrature n’est pas à l’abri de la critique, mais la position du Premier ministre aurait dû le dissuader de s’attaquer publiquement à un corps qu’il a les moyens politiques de réformer », souligne-t-il. Il ajoute que les injustices que Sonko dit avoir subies ne doivent pas être reproduites, même en faveur de son propre camp.
Il pointe également plusieurs anomalies juridiques dans la gestion des dossiers impliquant l’actuel Premier ministre. Il évoque notamment l’aggravation de la sanction par la Cour suprême et un refus de renvoi qui, selon lui, aurait violé les droits de la défense si Sonko avait comparu. Concernant les infractions de diffamation et d’injure, il rappelle leur particularité : la procédure peut être arrêtée à tout moment par un simple retrait de plainte, contrairement à la plupart des autres délits. Selon lui, seule l’initiative d’appel introduite par Sonko a rendu possible l’aggravation de sa peine en appel. Le fait que la Cour ait statué si rapidement et confirmé une peine plancher rendant Sonko inéligible constitue, selon Kane, une « anomalie ».
L’ancien magistrat ne s’arrête pas là. Il critique aussi la composition du Conseil constitutionnel à la veille de la dernière présidentielle. Les nominations opérées par l’ex-président Macky Sall, remplaçant un professeur d’université et un inspecteur général d’État par deux magistrats, sont pour lui une entorse à l’esprit d’équilibre et de diversité voulu depuis 1992. Une décision qui, selon lui, « ne pouvait qu’engendrer la suspicion » et éroder la confiance du public.
